Dossier : la place de la fiction audio en tant que média

­    Pourquoi écoute-t-on encore ce média[1] qu’est la fiction à l’audio en 2016 avec toutes les possibilités que nous avons aujourd’hui : cinéma, jeux vidéo, roman augmenté[2] ou réalité virtuelle (et bien d’autres) ? C’est la réponse à laquelle je vais tenter de répondre aujourd’hui, tout ne sera évidemment pas objectif bien que je m’efforce toujours au maximum d’apporter des arguments valables.

    Le but de ce dossier n’est pas d’étudier le passé de la fiction audio en tant que média, mais bien son présent et peut-être son avenir. Et surtout son essence.

L’histoire contée : la transmission par la parole

    Il en est ainsi depuis toujours : nous racontons des histoires dans le but de transmettre des valeurs, des idées et/ou des émotions. Vous avez beaucoup plus de chance de convertir quelqu’un à la non-violence en lui parlant de l’histoire de Gandhi par exemple !

    En bref, les dialogues humains sont faits d’histoires, et même les potins que nous aimons colporter partout, ce ne sont que de simples faits contés d’une certaine manière avec un certain appétit, comme dans un jeu : et c’est bien pour cela que l’on aime tant cela ! D’un côté ou de l’autre du rideau, conteur ou éconteur ! Et ça peut paraître bête, mais il y a là-dedans une force très puissante qui fait de notre média adoré quelque chose d’unique.

Pourquoi la fiction audio n’est pas un genre pauvre du cinéma ?

   A regarder moins, on entend mieux – métaphore que vous comprendrez mieux le jour où vous vous ferez renverser par une voiture en regardant une belle personne de l’autre côté de la rue. Car non, la fiction audio n’est pas un genre pauvre du cinéma. Elle s’enrichit par ce qu’elle n’a pas et se sublime elle-même par ce qu’elle met en avant.

    Le cinéma nous noie d’informations, et il nous noie tellement, qu’on a pris l’habitude de ne recevoir que certaines choses, mais le pire, c’est que le cinéma, il ne nous laisse même plus le temps de créer sur la création ! Et c’est là que tout se joue à mes yeux : le cinéma, et ce le sera encore plus avec la 3D complète immersive avec de la réalité virtuelle, nous mâche le travail. Le cinéma, il nous apporte la complétude et le confort du foetus dans le ventre de sa mère. Rien besoin de faire, émotionnez-vous !

    Qu’apporte de plus la fiction audio par rapport au roman : la voix, les bruitages et les musiques. Est-ce que le jeu d’acteur apporte énormément en plus ? Disons que ça nous permet de comprendre plus directement le ton d’une phrase, alors que dans l’écriture il faut lire des indications de ton et de narration.
    On gagne donc en fluidité et en facilité. Est-ce qu’on perd en imagination ? Souvent oui, cela dépend aussi beaucoup de la profondeur des descriptions à l’écrit, mais les voix des personnages et les bruits donnent beaucoup d’indices sur la description que l’on peut se faire de l’environnement de la fiction. La musique sera peut-être au final la plus directrice car elle va essayer de nous amener vers une émotion de façon plus inconsciente, cela va donc moins stimuler notre imaginaire direct et faire appel à notre mémoire interne basée sur ce qu’on connait déjà.

    Bref, la fiction audio est donc un média à prendre en considération ! Et là où le cinéma fournit du quasi tout-en-un, la fiction audio nécessite un dialogue permanent entre la pensée de l’auditeur et la création elle-même (et par extension la volonté du créateur).

La fiction, un problème en soi ?

      En fait, il faut aller plus loin pour comprendre le problème dans sa globalité.

     Je me suis mis à chercher des fictions sur Youtube qui auraient beaucoup de vues. Ce que j’ai trouvé, ce sont des dizaines de créateurs très talentueux avec pas tant de vues que ça. Il y a bien Timothée Hochet qui culmine à environ 7 millions de vues. (et qui les doit surement à des relais nombreux par des Youtubeurs “stars”).
    Mais sinon ce qu’on a c’est du sketch-fiction. Et c’est le type de fiction par excellence qui fonctionne dans le monde. CollegeHumor, Porta dos fundos ou Studio Bagel sont autant d’exemples (je ne suis pas un expert non plus, et ça n’est pas tant la question). Mais quand on les compare à Cyprien, PewDiePie ou Norman, ces collectifs ne sont pas si regardés non plus. Cauet, en 2002, réunissait plus de deux millions de personnes sur les ondes pour écouter sa matinale. Les deux JTs principaux le soir réunissent environ 5 millions de personnes chacun.
    Ce que je veux dire par là, c’est que la fiction en tant que telle, n’est pas forcément la plus accessible et la plus facile à vendre – et qu’elle n’est pas le genre maitre pour avoir une audience forte ! (Et le cinéma ? Je l’ai déjà dit, nous sommes dans l’ultra-confort. Surtout pour les films qui fonctionnent.)

Changer les choses ?

    Il s’agit donc de se poser deux questions : est-ce qu’on peut faire mieux ? Là oui surement. Est-ce qu’on veut faire mieux ? Peut-être que non. Car la liberté laissée par internet est justement celle-ci : ne pas devoir faire absolument moins de 4 minutes pour laisser son auditeur dans sa zone de confort, ne pas traiter forcément de sujets humoristiques ou “qui nous rappellent tous quelque chose” pour faire une audience forte. Profitons de notre avantage pratique principal : tout le monde peut faire une tâche bête (éplucher des patates, repasser…) en écoutant une fiction audio !

    La fiction audio a en fait un autre rapport à son auditeur. Nous ne faisons pas de marketing, nous ne vendons pas un produit, nous n’avons pas besoin de venir cherché le “client”.  Les personnes viennent chercher un imaginaire, une partie de rire, peu importe après tout, tant qu’on lui donne dans le même temps la possibilité d’imaginer et de créer son univers à partir de sons. (pensez à ce bon vieux Fleuve des Glaires Tièdes !)

Le problème des codes

    Tout ce monde pourrait être magnifique… Mais certains se sont rendus compte de la supercherie : la fiction audio, et surtout la saga mp3, emprunte bien souvent ses codes de narration entièrement des autres médias. Qu’il s’agisse du jeu vidéo ou du cinéma. Rien de bien anormal lorsqu’il s’agit d’une parodie, mais c’est également le cas de la quasi-totalité des autres fictions. Alors quoi ?

    Alors d’abord c’est pas si grave (docteur), et surtout ça ne peut qu’aller en s’améliorant. La fiction audio se construira un langage propre – c’est déjà plus ou moins le cas aujourd’hui mais de façon très inégale – et on utilisera toujours plus ces codes particuliers. Quels sont-ils ? Utilisation des silences, des bruitages et bruits particuliers (sound design), exprimer ce qu’est réellement être un personnage (le “FPS” audio), jouer sur les voix (le ton, les expressions, le phrasé…), exploiter encore plus la force de la musique dans la narration, etc. Tous ces codes qui ont un relief spécifique lorsque l’on parle de fiction audio sont à mettre toujours plus en avant, car c’est eux qui nous font bien souvent vibrés avec le génie créatif de leur créateur.

Les “créateurs”
    Le “créateur” est souvent scénariste et mixeur… ET réalisateur.

   Aujourd’hui dans la sagasphère, nous ne parlons pas de réalisateur. Et le lien que j’en fais : c’est que cette absence de rôle du réalisateur entraîne de facto un manque en terme de réalisation. Dans le processus de création, il faut vraiment incorporer cette étape si on veut exploiter le meilleur de notre média. Il ne s’agit donc pas de rajouter de la complexité, mais de se poser un moment entre l’écriture et le mixage et se demander : “comment je transmets tout ça dans ma fiction ?”. Beaucoup incorporent cette étape à l’écriture et/ou au mixage.

    En conclusion, je dirai qu’il faut simplement continuer à aller de l’avant comme on le fait maintenant, en profitant de la grande liberté que l’on a en tant que créateur. La fiction audio a une place réelle à tenir en tant que média. Je suis persuadé que des fictions seront toujours écoutées dans 50 ans car elles nous font voyager, ressentir et imaginer d’une façon totalement unique.

[1] média : ici, moyen de communication par un dispositif technique.
[2] Incarnatis : voir www.incarnatis.com

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