S’il y a bien un domaine qui stimule la créativité et la prise de risque, c’est bien celui des radios étudiantes. Moins tenues par les objectifs financiers que leurs équivalents “professionnels” (dans le sens de métier, car en terme de qualité, elles n’ont souvent pas à rougir), elles peuvent se permettre de laisser carte blanche à des créateurs talentueux qui, dans certains cas miraculeux, accoucheront d’œuvre inventives et captivantes sur la bases d’idées qui auraient peut-être été jugées trop risquées ailleurs. Certains y prendront même goût, comme ce fut le cas d’Antoine Rouaud, alias Buxley, dont la brillante carrière de conteur débuta avec la radio universitaire nantaise Radio PRUN’ et qui fit ses armes, avec l’aide de ses comparses Aimé-Bonaparte et Alex, avec la fiction dont nous allons parler aujourd’hui : Aussi loin que s’en souviennent les lilas.
Analyse de la saga
Aussi loin que s’en souviennent les lilas est un feuilleton radiophonique humoristique, diffusé à partir de décembre 2000 et qui s’est achevé en avril 2001. L’histoire rapporte les péripéties de Vincent David et de son assistante Rébecca Komendéjà qui arrivent de façon fortuite à Bittebourg, un petit village du Bas-Rhin. Alors qu’il est sensé se reposer afin de guérir d’une mystérieuse maladie (“La maladie de Monsieur Dumbo”, qui s’apparente à de l’impuissance sexuelle), Vincent commence à voir apparaître tout autour de lui des conspirations contre sa personne, ses amis voire le village de Bittebourg ; conspirations qu’il est la plupart du temps le seul à voir. Il n’est en cela pas aidé par les personnages loufoques qui composent la population du village.
Ce feuilleton est un exemple d’originalité, de sens du dialogue et du rythme, de qualité des personnage et surtout l’une des fictions les plus drôles que j’ai jamais écoutée. Commençons par sa galerie de personnages, tous plus excentriques et barrés les uns que les autres : le bistrotier Carole (oui oui, le bistrotier, les jeux avec le genre reviennent souvent dans l’histoire), si drôle qu’il pourrait se contenter de réciter l’annuaire (et d’ailleurs, il s’en contente), Monsieur Le Directeur, la dirigeante de la prison locale qui ne contient qu’un seul détenu, Alberto Lar, ledit unique détenu dont le mystérieux crime serait d’avoir fait, je cite, “des choses très très vilaines”, ou encore M. le Maire, burlesque représentant de l’Etat à l’innocence et l’enthousiasme attendrissant et affecté d’un sérieux problème de mélange dans son vocabulaire… Je ne pourrais pas en faire une liste exhaustive, d’une part pour vous laisser le plaisir de la découverte, d’autre part parce qu’elle occuperait plus des trois quarts de la chronique. Ces personnages, même les plus anecdotiques, sont tous des trésors d’absurdité et de drôlerie et les dialogues regorgent de répliques cultes. Néanmoins, absurdité ne veut pas dire chaos sans queue ni tête, on n’est pas devant un délire criard, les échanges sont équilibrés et les différentes intrigues sont compréhensibles, et mieux que cela, prenantes.
Car les trois auteurs ne se contentent pas d’enchaîner les gags et de rester dans leurs zones de confort. Le feuilleton va ainsi emprunter tour à tour à la science-fiction, au récit historique, à la fiction policière, aux films d’horreur (plus particulièrement au genre du found footage) et s’autorise même une parodie très personnelle et réussie du film Brazil. Cette large variété de situation est très bien servie par les performances remarquables des acteurs principaux (oui, il y a quelques rôles secondaires dont l’interprétation est peut-être un peu moins juste), qui utilisent avec brio le rythme et les intonations pour sublimer le texte mis à leur disposition.
Terminons avec la qualité technique, qui a été la cause principale du retrait de la fiction des internets pendant près de 10 ans. À la décharge de Radio PRUN’, il faut savoir que chaque épisode, qui durait une heure, sortait au rythme d’un par semaine, de l’écriture au mixage, une durée incroyablement courte. La qualité sonore pâtit donc parfois de ce rythme effréné, avec de nombreux pops, mais aussi un montage parfois un peu mou (concernant cet aspect, il est peut-être lié à un enregistrement en direct, mais ce point n’est pas très clair). Mais comme dans les chroniques précédentes, cela ne vous empêchera en rien d’apprécier cet OSDI (objet sonore difficilement identifiable, expression empruntée à mon estimé confrère MimiRyudo pour une critique de la même œuvre) qu’est Aussi loin que s’en souviennent les lilas.
Cote de rareté : Trouvable
N’étant plus disponible sur le site de Radio PRUN’ et absente du site du créateur pendant plusieurs années, ce feuilleton aurait pu rester dans la catégorie Introuvable pendant longtemps. Cependant, passant outre ses propres réticences, Antoine Rouaud a décidé de le republier en mai 2012 à l’occasion de la mise en ligne de son nouveau site internet.
Vous pourrez retrouver les épisodes de Aussi loin que s’en souviennent les lilas sur le site du créateur.
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