Le monde de la saga mp3 sur internet a bien changé depuis 20 ans. Il est certainement un peu moins actif qu’alors, du fait de sa concurrence avec d’autres activités impossibles à l’époque. Il a sûrement aussi un peu vieilli, les ados d’alors sont maintenant des adultes plus ou moins responsables mais toujours attachés à la liberté créative qui leur a fait aimer ce média. De mon point de vue, ce que la fiction audio a perdu en quantité, elle l’a récupéré en qualité. Bref, la fiction audio de 2020 n’est, pour le meilleur, plus celle de 2000, et le fait que certains cherchent à le nier est absurde et contre-productif. L’épisode du harcèlement de K-miye après sa critique du jeu adapté de la série Naheubleuk sur le site jeuxvideo.com nous montre qu’il est temps de rétablir quelques vérités simples.
Des sagas immatures
La saga mp3 est apparue dans un monde où, sous couvert d’humour, l’utilisation de stéréotypes racistes, sexistes, homophobes, transphobes et tant d’autres formes d’oppressions systémiques dans la fiction était peu débattue par le grand public. Il faut aussi admettre que le genre n’était pas aidé par les exemples dans les autres médias. Logiquement, les ados en quête de leur propre voix ont reproduit sans réfléchir les schémas auxquels ils ont été exposés dans leur propre création.
Pas besoin d’avoir écouté des centaines de sagas pour commencer à les remarquer, les exemples se manifestent très bien tous seuls : protagonistes féminins stupides (de préférence secondaire), membres du groupe gays couards et/ou faisant constamment des doubles sens sexuels (ce à quoi le personnage principal répondra par un « No homo »), personnages racisés unidimensionnels et clichés, avances pressantes voire relevant du harcèlement sur les rares femmes de l’histoire (vous pouvez même combiner ça avec le premier élément de cette liste)… Et si à l’époque ces éléments n’ont pas suscité plus que quelques remarques sans lendemain, il est injustifiable de vouloir continuer comme si de rien n’était maintenant que plus personne ne peut nier l’effet néfaste de ce genre de comportement.
Pourquoi un Vieux Baladeur ?
Mais alors, pourquoi évoquer le sujet dans le cadre d’une rubrique qui est justement dédiée à la mémoire de ces anciennes fictions audio, dont beaucoup tombent dans les catégories listées ci-dessus ? Parce que je pense que l’attachement pour les débuts de la saga mp3 et la réaction violente contre une critique d’une œuvre qui a compté dans nos passés part du même sentiment. Nous avons grandi en étant exposé à un nombre infini d’œuvres, de références et de personnes, dont certaines ont pris plus d’importance que d’autre pour finir par former notre propre identité.
Alors comment réagir lorsque, au hasard, on lit dans une critique d’une de ces œuvre qu’elle repose sur un « humour est gras, voire même stigmatisant ? C’est la même recette qu’à l’origine donc tout dépendra si vous êtes sensible au genre ou non » ? Pour peu qu’on s’abstienne de réfléchir, cela peut ressembler une attaque contre notre identité propre. Et en ajoutant l’effet de groupe, la misogynie envers la rédactrice et les invectives naïves/tout à fait calculées de personnes impliquées dans la production, cela se transforme en campagne de harcèlement. L’alternative consiste à réaliser que nous ne sommes plus les mêmes personnes qu’il y a 20 ans, que nous et le monde qui nous entoure ont changé et que réaliser ses propres erreurs n’est pas une forme de faiblesse. Dans le cas évoqué ci-dessus, l’auteur lui-même s’est éloigné de son style des origines dans ses épisodes les plus récents et ses romans, on peut vraiment se demander si ce « retour aux sources » est une volonté aveugle de fidélité ou une pression des studios qui refusent toute prise de risque.
Et maintenant…
Que faire alors de toutes ces fictions audio problématiques ? Les mettre aux oubliettes serait inutile, leur influence a déjà fait son effet. Mieux, peut-être que sans elle, elles n’auraient pas suscité à l’époque de vocations les créateur.ice.s talentueu.ses.x que nous avons aujourd’hui et qui elleux ont appris à évoluer. Mais nous ne devons pas fermer les yeux pour autant, et même si c’est quelque chose que je me suis efforcé de faire dans mes quelques 40 chroniques dans cette rubrique, je me rends compte que j’aurais dû porter plus d’attention à ces problèmes. Il est encore possible d’apprécier les vieilles sagas mp3 pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire le balbutiement d’un média encore loin d’être parfait, et pas pour ce qu’on voudrait qu’elles soient. Vous pouvez vous émerveiller du chemin parcouru, observer les éléments qui ont changés au cours du temps. Vous pouvez même sincèrement apprécier ce qui fonctionne encore après tout ce temps, et il en reste beaucoup, tout en ne cherchant pas des excuses à ce qui est daté. Mais si vos valeurs reposent encore entièrement sur ce qui a fait votre adolescence, il est peut-être temps de vous remettre en question.
NDLR : Cette prise de parole n’engage que son auteur et n’a pas pour but de refléter la ligne éditoriale du Weekly MP3 dans son entier.
Un article tout à fait juste, merci Xzimnut.
C’est un peu dommage qu’à la fin de l’article la rédaction semble s’en laver les mains, donnant ainsi l’impression de ne pas être d’accord avec quelqu’un qui dit simplement que le harcèlement et la puérilité c’est pas bien.
Je comprends ton point de vue. Ça part du contexte dans lequel cet article a été écrit : je n’étais plus au Weekly, j’ai eu envie de dire quelque chose et le Weekly me semblait un média légitime pour ça, mais c’est une idée que j’ai eu de moi-même, c’est pas une décision concertée. Je veux que le message porte, mais on sait à quel point les gens peuvent être fous sur le net, donc c’est une sorte de “protection” pour les autres membres de la rédaction ; si vous avez quelques chose à dire, dites-le à moi et allez pas embêter les autres. Et de ce que j’en sais, vu que j’ai quand même demandé l’autorisation avant de poster, les autres membres de la rédaction sont sois d’accords, soit ne sont pas au courant parce que je voulais pas déranger tout le monde pour mon article non-plus.
Article intéressant et le Weekly m’avait manqué