Le vieux baladeur n°18 : La Guilde d’Ersoh

Vous avez peut-être remarqué, chers lectrices, chers lecteurs, que depuis le début de cette rubrique, j’ai montré une tendresse particulière pour les sagas cocktails, celles qui résultent du mélange de diverses influences chères à l’auteur, et dont le résultat peut s’avérer étonnamment bon. C’est le cas des sagas telles que Mésaventure, Luigi au pays de Doom ou encore la Delta Agency (dont la critique a été publiée dans notre édition spéciale en version papier). On pourrait y voir une preuve supplémentaire du caractère éminemment “geek” de la saga mp3, qui s’enferme dans les auto-références et autres clins d’œil que seuls quelques un pourraient percevoir. J’y vois au contraire une démonstration de l’ouverture de ce média, auquel chacun peut participer et y amener ce qu’il veut, quelque soit ses préférences. En effet, touchons du bois, il n’y a pas encore de manière académique de faire de la saga mp3, et espérons que cette situation continue le plus longtemps possible.

Ceci étant dit, vous imaginez bien que la saga du jour correspond à la description ci-dessus. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à une création qui non seulement regorge d’idées originales, mais bénéficie également d’une réalisation bien supérieure au niveau moyen des sagas évoquées dans cette chronique. Et, pour couronner le tout, les auteurs ont eu la bonté de ne pas s’arrêter avant la fin, et de nous proposer une vraie conclusion malgré l’inexplicable manque d’attention qu’elle a subit durant sa publication. Aujourd’hui, La Guilde d’Ersoh, par SephiroX et Korn-Muse.

Analyse de la saga

La Guilde d’Ersoh est une saga semi-sérieuse en 24 épisodes, ayant débutée en juillet 2007, et achevée en septembre 2012. Elle se déroule dans un univers médiéval fantastique créé par les deux auteurs, sur la planète (ou le continent, ce n’est pas très clair) de Glendorf. Dans ces terres ravagées par les guerres, l’empire Haut-Elfe de Clothroxia Van Starnies vient de s’effondrer. Seule une poignée d’humains et autres créatures magiques ont survécu et tentent de continuer à mener une vie normale. Un beau matin, Moonof, un simple paysan, fait la rencontre Zullaman, un jeune soldat ayant survécu à la guerre. Celui-ci a en sa possession une mystérieuses statuette, qu’il a été chargé de rapporter à ses propriétaires, mais il craint de ne pas pouvoir mener cette mission à bien. Moonof lui propose de garder la statuette, mais il se voit alors frappé d’une malédiction que seuls les nains pourront retirer.  Les deux aventuriers, accompagnés d’un mage puissant et mystérieux du nom de Merinio, se lancent alors dans un périple aux confins de Glendorf, et même de leur réalité.

Bannière de la saga La Guilde d'Ersoh

Cette saga est selon moi l’une des plus largement sous-estimées de la sagasphère. Elle évite de nombreux écueils rencontrés très fréquemment dans ce média, et, une fois n’est pas coutume, commençons par évoquer l’aspect technique. Le meilleur moyen pour rebuter l’auditeur, c’est de proposer une saga pleine de saturations, de pops, de souffle ; ou alors de négliger la réalisation, et de faire une saga austère, pauvre en musique et bruitages. Il faut ainsi souvent plusieurs épisodes pour qu’un créateur en herbe atteigne un niveau correct. Et ici, alors que ni SephiroX ni Korn-Muse ont le moindre antécédent dans le milieu, la qualité de réalisation de leur saga est largement au-dessus de la moyenne. Pas parfaite, mais suffisamment fouillée pour rendre l’environnement vivant. Que les personnages soient dans un village, au milieu des montagnes, ou sur un champ de bataille, nous le vivons avec eux. Le choix des musiques est également réalisé avec intelligence, avec de la variété, mais aussi quelques thèmes récurrents qui deviennent alors une forme de narration sans parole.

La qualité est également au rendez-vous en ce qui concerne le jeu. Moonof et Zullaman passent par une large palette d’émotions interprétées avec justesse et sensibilité, tombant seulement à de rares occasions dans le surjeu. Le duo est dynamique et attachant, avec un côté vieux couple du fait de leurs chamailleries incessantes. Cependant, si les personnages interprétés par les créateurs sont très bons, c’est moins le cas des personnages secondaires. Je pense notamment à Brévis, dont le groupe fait la connaissance lors d’un passage en prison, et dont le ton monocorde ne correspond pas vraiment à la gravité de la situation ; ou à Ina, la semi-naine rencontrée au cours de l’aventure, dont la voix pleurnicharde est parfois désagréable. C’est d’autant plus étonnant pour cette dernière que la même actrice interprète par la suite une haut-elfe énergique et charismatique ; on peine à croire qu’il s’agisse de la même personne.

Penchons-nous maintenant sur l’histoire : elle se découpe en trois actes. Le premier est assez classique, et couvre les péripéties rencontrées jusqu’à la restitution de la statuette. Ce passage est assez classique, fait de combat, de pauses dans les tavernes, et de la découverte de régions inconnues. On peut cependant remarquer une première chose intéressante quant à la composition du groupe. Ainsi, Moonof, contrairement à l’archétype classique du héros, ne cherche pas l’aventure, et aurait volontiers continué sa vie routinière de paysan. À l’inverse, Zullaman fait preuve d’un enthousiasme dépassant ses capacités, lui qui n’est arrivé qu’après la défaite de son armée. Au milieu de cela, Merinio, sage et sensé qui refuse de prendre parti et souhaite juste faire le bien. En plus de rendre le groupe vivant et crédible, les différences de caractère au sein du groupe incarnent trois motivations pour partir à l’aventure : par nécessité, par désir et par principe.

Les bases ainsi posées, la deuxième partie est plus facile à aborder. Elle est moins conventionnelle, puisqu’elle mélange un univers médiéval fantastique avec… Super Mario et les films de guerre. On peut être perplexe devant ce choix qui vient ruiner la cohérence de l’univers établi dans le premier acte. Néanmoins, cette séquence donne l’occasion à des moments assez cultes (ainsi qu’à une scène inutilement larmoyante selon moi). Mais que l’on aime ou pas, il faut saluer l’inventivité des créateurs qui arrivent à mélanger des éléments aussi disparates, et qui finalement réussissent à respecter la continuité de la saga. La dernière partie, qui voit les héros retourner chez eux, repart sur des bases classiques, avec des elfes, des goules, et des combats à l’arc. Pour ma part, j’aime beaucoup le personnage de Natao, la haut-elfe hautaine et méprisante, qui apporte de la fraîcheur et du dynamisme à la saga, et, comme dit précédemment, est très bien campée par son actrice.

Bien entendu, tout n’est pas parfait dans cette saga. Ma principale critique porte sur le style d’écriture, très proche du langage parlé. Ainsi, certains passages de dialogues portent sur des petits riens, que tout le monde utilise dans la vie de tous les jours, mais qui selon moi sont superflus dans une fiction, et n’apportent rien en terme de profondeur des personnages ou de développement de l’histoire. De plus, certains retournements de situation ou justifications des évènements semblent un peu simples, ou relèvent du deus ex machina. Enfin, certaines séquences sont inutilement longues ; je pense notamment à un passage sur le prénom d’un personnage vers la fin de la saga, qui prend une importance démesurée. Mais rassurez-vous, si ces défauts surpassaient les qualités précédemment citées, cette saga n’aurait pas sa place dans cette chronique.

Je souhaiterais conclure par une remarque sur le fait que cette saga ait été créée par un duo, au risque de surinterpéter. On sent que cette saga a été créée par deux personnes qui se connaissent bien. Cela touche même les personnages principaux, et leur manière d’interagir, comme s’ils étaient une extension d’eux-mêmes dans la saga. Cette alchimie donne une certaine sincérité à la saga, elle est faite avant tout pour plaire aux auteurs, et non pas uniquement pour satisfaire le public. Et alors que la saga n’aurait pu être qu’une suite de private jokes, elle n’en ressort au contraire que plus attachante et authentique. Un exemple à suivre.

Cote de rareté : Courant

Bien qu’ayant reçu peu d’écho, la saga s’est achevée il y a moins de cinq ans, et le site est encore fonctionnel, les créateurs ayant eu l’intelligence d’héberger leurs épisodes sur 2 sites différents (utilisez le deuxième lien de téléchargement pour chaque épisode, le premier ne fonctionne plus).

Vous pourrez retrouver les épisodes de la saga La Guilde d’Ersoh sur le site des créateurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *